Cyril Loriot : La révolution par le vide, et l’inutile – La singularité de l’inutile

La Revolution Vide ( livre et livre audio sur audio cité )

Ce n’est pas une expérience. Ce n’est pas « expérience ». Ce sont des dizaines, des centaines, des milliers de fois que cela troue, que cela nous troue. Tandis que tout semble déjà perdu. Et alors, je perds tout de je, et c’est un vide, sans plus rien, et c’est plénifiant. « Nous » perdons tout de « nous », en quelques secondes, et puis le vide redevient l’abîme d’un gouffre de rien qui fait mal, qui nous prend à la gorge devant des millénaires pour rien. Ça semble tel. Mais une valve s’est ouverte à fond de gouffre, et la trouée continue. On entre en tempête comme une épaisseur morbide d’un rien exténué qui résiste méchamment de toute sa fureur de rien n’être à cet assaut involontaire, intrusion, son, immobilité, puissance, cette pénétration inimaginable d’un vide plein et lucide dans un mur de rien agité, terrifié, aux dimensions de la terre, de l’univers… Cela ressemble à une entrée consciente dans l’expérience du mourir… (Nous, une poignée de quelques dés-emparés, réunis sans mot d’ordre précis, dans ce laboratoire de l’imp(a)nsable). {{Le laboratoire l’imp(a)nsable a publié l’effondrement du temps (pénétration I) en 2006, Le Grand Souffle Editions.}}

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La démocratie actuelle, pourquoi la faire tenir ? Pourquoi aller voter ? Alors qu’elle n’existe plus. Pourquoi faire tenir cette dernière illusion ? Ceux qui sont sur le devant des planches n’y croient même plus. Pourquoi y tenir ? Qu’est-ce qui reste ? Le rêve de pouvoir retarder une menace de guerre civile, de guerre tout court ? Encore une stratégie pour cultiver la fuite. Tout du monde de la pansée est une mise en scène de la fuite pour retarder le moment du face à face avec le vide et la puissance incoercible de son trou. Les injustices sociales, les camps de concentration, les génocides, tout ça n’est le résultat que de la distraction, de la fuite devant la révélation de l’inconsistance mensongère de la dictature pansante qui nous ronge les sangs de l’intérieur. Nous sommes conditionnés à panser que si on retire la structure politique, il ne restera plus que la barbarie : non ! C’est faux, c’est le chantage stratégique de la pensée-fuite-peur, c’est pour cela qu’on continue à fabriquer des horizons de maintenance du système spectaculaire : avec le retour du religieux, le mythe d’une relance du désir, d’un recommencement de la philosophie, de la lutte révolutionnaire, d’un changement de société par un changement de politique industrielle, etc., Tant qu’on aura la dictature, on aura l’exacte épreuve de conscientisation et de transmutation du refoulé impansable qui nous meut hors contrôle de la pensée. Tant qu’on ne fera pas face individuellement, puis collectivement, à la cause fondamentale de la tragédie qu’est le régime mortel de la pensée.

La pensée est l’ennemi mortel de la révolution. La vérité de la pensée, c’est son néant.
L’Odyssée de la traversée de l’architraum tragique de finitude est la révolution qui a déjà commencé. L’aventure d’une autre rigueur que la mal-intelligence pansante. Conquérir en soi la terreur de la solitude sans conditions, sans pensée de « je » et « d’autre », c’est prendre le risque de voir s’ébranler la consistance ontologique des faux « transcendantaux ultimes » que sont la « naissance » et la « mort ».

Découvrir le continent du vide, lui laisser entièrement place dans nos corps, c’est réaliser l’unique lieu réel du commun. La pansée étant le lieu et l’organum même de son désaveu tragique.

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L’homme est né esclave de la dictature mentale, et partout il reste dans les fers. Et si la révolution ne doit s’arrêter qu’à la « perfection du bonheur », comme en rêvait Saint-Just, il faudra bien que l’humanité sorte héroïquement des cavernes de sa terreur millénaire du mourir et qu’elle consente à se laisser opérer vivante de la mort. Ici même. De ce qui fait la mort. Car c’est un mécanisme. Impensable, mais visible. Dans la tête, dans le cœur, dans les tripes. Jusque dans les fondations de ce qu’on nomme abusivement le « corps ». Découvrir le feu de cette révolution-là est le seul « programme » solitaire et involontaire des asphyxiés du temps zéro. Tout le reste sent le cadavre, ou y conduit.

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Tel est à nos yeux en parturition l’œil cyclonique du « nihil ». Ce que la pansée nomme « nihilisme » est l’expression caricaturale et torturante, l’ultime figure du dédoublement d’imposture, de duplicité voilante de la révolution vide. L’entrée en la révolution du vide nous astreint ainsi à la perte radicale d’équilibre de tous les repères de la mémoire pensante, et à marcher seuls dans la pénétration inconcevable du traum mortifère, car aucun texte sacré, aucune mystique de la parole pansante, pas plus qu’aucune mystique du peuple, nationale ou cosmopolite, aucune religion de la démocratie laïque, ne feront le poids face à cette gigantesque invasion du vide.

La révolution vide se fait maintenant ici même en nous défaisant de toutes les postures du pouvoir d’imposture du penser : elle est cette donation même du néant désastreux de tous nos ressorts réflexifs. Que plus rien de la politique pensante ne soit tenable — ni la monarchie, ni l’aristocratie, ni l’oligarchie, ni la démocratie, ni l’anarchie — que la totalité des positions pensables soient insupportables, perdent leur pouvoir de fascination et de consolation, c’est ce séisme, cette transhumance forcée vers l’abîme de totale impuissance qui est l’opération même de la révolution vide en cours. Et la sacro-sainte religion de l’actuelle « démocratie » est sans doute la toute dernière des grandes idoles à nous servir de cache-misère pour continuer à ne pas voir en face que toute l’histoire de la fiction humaine doit maintenant toucher l’impasse sans solutions de toutes ses vaines tentatives de « solutions ».

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génériquement pensant, l’homme est un rêve, et c’est pour cela qu’il arrive à sa fin, comme tout rêve…

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Nous sommes entrés dans l’évidence d’une asymptote géocidaire qu’il est aussi vain de nier que de combattre par la pansée de l’intérieur du spectacle pansant qui tourne dans nos cerveaux. Une mutation qui n’est pas plus prioritairement écologique que politique, sociale économique ou culturelle. La priorité des priorités, ce n’est donc pas de signer le pacte écologique de Nicolas Hulot. C’est de commencer à réaliser que nous sommes entrés irréversiblement dans une mutation évolutive qui affecte l’ensemble de la formule de homme/monde et ébranle jusqu’au mythe mensonger de la naturalité même de la nature cosmique. La « catastrophe écologique » en cours est à nos yeux un aveu d’inauthenticité de la « nature » de la nature. Si « harmonieuse » qu’elle se présente, cette nature n’en porte pas moins le germe pulsionnel de mort qui préside à la loi mensongère de nos souffles coupés. Portant le nœud tragique du biocide au cœur de son sein, elle ne pouvait donc selon nous, à terme, « naturellement », que produire elle-même le dispositif de son propre suicide. Et nous sommes à l’heure de ce terme. Toute la Terre conspire ainsi, apparemment, à son propre géocide, comme l’espèce dite « humaine ». L’atome, le quark, la cellule, la molécule, le pulsar, tous ces concepts opératoires révèlent le caractère intégralement artificiel de la « nature ». Introduits dans la révolution vide, nos souffles conscients s’habituent à oser envisager qu’il n’y a peut-être pas lieu de chercher à préserver à tout prix la « nature » telle qu’elle est, (que cela ne sert peut-être à rien, que c’est même désormais impossible), pas plus qu’il n’y a lieu de préserver le règne mortifère d’une machine fêlée à fictionner le « pire » qu’on nomme « l’humanité de l’homme ». « Homme », « nature » : une seule et même mécanique traumatique universelle en cours d’effondrement.

Nous entrouvrons les yeux au fait que l’espèce pensante étant une espèce de transition ( c’est le seul transhumanisme vous humains êtes déjà des transhumains), le « mal » apparent qui la met à « mal » est le verdict de sa caducité, et qu’elle est déjà engagée, par la négative, dans le processus de son propre dépassement évolutif… Aux confins de l’enfer rigoureusement sondé du camp de pollutions chimiques aux dimensions planétaires, l’expérience nue {{l’expérience nUe, ce livre tournant d’aurélien réal, a été publié dans la collection l’imp(a)nsable en mai 2006, Le Grand Souffle Editions}} d’un corps asphyxié révèle que cette effroyable mise à « mal » est sans doute plus profonde qu’elle n’est un « mal »…

AUTRE CHOSE est en train de naître dans la rigueur inconcevable de l’impasse intégrale du pouvoir pansant, du dés-espoir nécessaire de toute forme de communautarisme, comme de tout anti-communautarisme, dans le désert accompli du « lien », comme dans celle de l’agonie « inacceptable » de la nature mortifère. AUTRE CHOSE que « nous » est en cours de naissance par les cris du vide dans le placenta temporel.

Voir aussi :

Le Dao trouve sa constance dans le non-agir
Or par lui tout s’accomplit
Si seulement rois et seigneurs s’y tenaient
Les dix mille êtres d’eux-mêmes se transmueraient
Pour peu que mutation devienne velléité d’agir
Simplicité-sans-nom saurait l’assagir
Car simplicité-sans-nom est aussi sans-désir
Le sans-désir s’atteint par la quiétude
Et le monde se détermine alors de lui-même.

Les hommes connaissent tous l’utilité d’être utile, mais aucun ne connaît l’utilité d’être inutile.Citations de Zhuangzi (TchouangTseu)

Vous n’êtes pas votre travail, vous n’êtes pas votre compte en banque, vous n’êtes pas votre portefeuille, ni votre putain de treillis ; vous êtes la merde de ce monde, prête à servir à tout.

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